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Les Pigeons du bâtiment

Les Pigeons du bâtiment, ou pourquoi les patrons descendent dans la rue

Mardi 2 décembre 2014.

La semaine de mobilisation promue par le Medef (« Libérons l’entreprise ! ») et la CGPME (« PME Cadenassez ! ») répond à des maladresses et des imprécisions : la loi Hamon, le compte de pénibilité… De même, voici deux ans les Pigeons réagissaient à une erreur, admise puis corrigée : la réforme de la fiscalité des plus-values. Mais, tout comme en 2012, le mécontentement des entrepreneurs dérive d’un problème plus profond, qui touche à leur financement et, in fine, leur survie.

Par Olivier Marty, économiste, et Jean Rognetta, président de PME Finance.

On peine à croire que l'obligation d'informer les salariés au moins deux mois avant toute cession d'entreprise ait précipité des milliers d’entrepreneurs dans la rue, fût-elle jointe au compte individuel de pénibilité, qui doit entrer en vigueur à partir de 1er janvier 2015, et à la durée minimum de 24 heures hebdomadaire pour les nouveaux contrats à durée déterminée. Une note du Conseil d’Analyse Économique, publiée lundi 1er, le jour des premières manifestations, offre une explication bien plus vraisemblable.

Alors que les délais de paiement ne cessent de s’allonger, une PME-TPE sur quatre n’obtient plus les crédits de trésorerie qu’elle demande. Résultat : les défaillances d’entreprises ont augmenté de 25 % depuis la crise financière en 2008, observe le Conseil, reprenant ainsi une inquiétude désormais ancienne de PME Finance. Et les « petits patrons », pris en tenaille, s’en vont manifester une inquiétude mortelle qui tient plus à la conjoncture et aux nouvelles modalités de leur financement qu’aux vicissitudes du dialogue social.

Il ne s’agit pas ici de crier au loup, ni haro sur les banques. La France a bel et bien évité, jusqu’à présent, le resserrement du crédit qui a conduit 250 000 entreprises espagnoles à arrêter leurs activités, comme le rappelait Josep Sanroma, directeur général de l’Institut Català de Finances aux dernières Assises Européennes du Financement des Entreprises (AEFPME). Néanmoins, la crise commence à mordre : les TPE espagnoles sont aujourd’hui mieux loties que les françaises, en matière de crédits à court terme, comme le montre le tableau ci-dessous.

Part des demandes de prêts acceptées dans leur intégralité ou financées dans leur quasi-totalité entre avril et septembre 2014, en %

 

France

 Allemagne 

Italie

 Espagne

PME

· prêts bancaires

 77

76

56

62

· crédits commerciaux

 70

87

70

71

· découverts, lignes de crédit,
cartes de crédit

 69

75

56

69

TPE

· prêts bancaires

 70

63

43

57

· crédits commerciaux

 72

88

58

57

· découverts, lignes de crédit,
cartes de crédit

 66

72

45

70

Sources : Survey on the Access to Finance of Enterprises (SAFE, question Q7B), BCE et Nomura via « Crédit aux PME : des mesures ciblées pour des difficultés ciblées », Les notes du CAE, N°18, décembre 2014.

La tension sur les crédits de trésorerie des PME-TPE est connue depuis longtemps (cf. par exemple, l’étude annuelle de PME Finance, ici). PME Finance attire l’attention des pouvoirs publics sur le sujet depuis 2011, mais après une année 2013 très riche en mesures pour les PME (réforme du code des assurances, PEA-PME, ordonnances de simplification, crowdfunding, amortissement du capital-investissement d’entreprises), le gouvernement a changé de priorités. Le Pacte de responsabilité et la future loi Macron s’attaquent à des problèmes macro-économiques dont il ne s’agit pas de sous-estimer l’importance, des 35 heures à la réforme du droit des faillites.

Pendant ce temps, le financement des PME a été mis à la portion congrue : les amendements des parlementaires qui tâchaient de l’améliorer ont été recalés ou reportés. Ainsi, par exemple, l’amendement « bipartisan » sur l’assurance-vie des sénateurs Philippe Adnot, Robert Navarro, Philippe Bas, Alex Türk, Yves Détraigne, Alain Chatillon, Jean-Claude Lenoir et Francis Delattre ou les amendements des députées Karine Berger et Valérie Rabault sur le crédit d'impôt recherche (CIR), le crédit d'impôt compétitivité emploi (Cice) et l'optimisation fiscale des entreprises (Les Echos racontent les allers-retours ici).

Et les réformes de 2013 de patiner : les nouveaux contrats d’assurance-vie et le PEA-PME tardent à décoller ; la finance participative française est encore loin d’avoir un poids significatif dans le financement des PME ; l’amortissement du capital-investissement d’entreprises est soumis à un amendement que l’on commence à débattre (cf. Un amendement remet le capital-investissement d’entreprises sur ses rails, par l’avocate Florence Moulin du cabinet Jones Day).

En 2012, la réforme de la fiscalité des plus-values menaçait l’investissement qui nourrissait les espoirs des start-up et le financement de l'innovation en France : tout le système du capital-risque était remis en cause. En quelques battements d'ailes de #Geonpis, Bercy a corrigé son erreur et leur régime fiscal est aujourd’hui plus favorable aux « Pigeons » qu’il ne l’a jamais été sous les gouvernements précédents. Les patrons de toutes les autres PME viennent désormais rappeler que leur financement mérite également une attention de tous les instants.

O.M. ; J.R.