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La taxation de l'EBE, beaucoup de bruit pour vraiment pas grand-chose

Décryptage

Taxation de l’EBE : beaucoup de bruit pour… pas grand-chose

 

Chloé Magnier – Directrice associée - CM Economics

Rapporteur de l’Observatoire des Entrepreneurs 

le 2 octobre 2013

Après les Pigeons et les plus-values, on connaît désormais le nouveau feuilleton de cette rentrée fiscale : la fameuse question de la taxation de l’excédent brut d’exploitation (EBE). On parle à nouveau d’hérésie fiscale, d’improvisation, de matraquage… Cela a conduit le gouvernement, avant même la présentation du projet de lois de finances à modifier les modalités de mise en place de cette taxe et à en exclure les entreprises ayant moins de 50 millions d’euros de chiffres d’affaires, soit la quasi-totalité des PME selon la définition communautaire de ces dernières.

Le parallèle avec les Pigeons peut faire du sens. D’une idée simple, juste ou fausse, on arrive à une situation où personne ne comprend plus ce qui va réellement se passer : le jeu politique prend le pas sur l’analyse économique. Dans le cas de l’imposition sur les plus-values, bien que le gouvernement ait immédiatement reconnu une « erreur » (lors du colloque d’actualité de PME Finance en 2012), la surmédiatisation a fait qu’il a fallu un an pour y porter remède. De même, la question de l’EBE a occupé l’espace médiatique réservé au projet de lois de finances. Elle occulte les problématiques auxquelles sont confrontées les PME, même si elle pose un vrai problème – que voici. 

Initialement, l’idée du gouvernement était de supprimer deux taxes assises sur le chiffre d’affaires, l’IFA et la C3S, et de réduire le taux de l’impôt sur les sociétés (IS). Dans les grandes lignes :

  • L’IFA (Impôt forfaitaire annuel) concerne toutes les entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés et ayant un CA supérieur à  15 Millions d’euros. L’IFA est redevable même en l’absence de bénéfices, pour un montant de 20 500 euros si le chiffre d’affaires est compris entre 15 millions et 75 millions d'euros, 32 750 euros entre 75 millions et 500 millions d'euros et 110 000 euros au-dessus ;
  • La C3S (Contribution sociale de solidarité des sociétés) concerne toutes les sociétés dont le chiffre d’affaires est supérieur à 760 000€, avec un taux d’imposition de 0,16% du chiffre d’affaires (recette inscrite dans le PLFSS) ;
  • L’impôt sur les sociétés (IS), avec un taux d’imposition des bénéfices de 33,33%, représente près de 50 milliards d’euros de recettes fiscales en 2013 ;
  • Au total, l’IFA et la C3S ont rapporté environ 6 milliards d’euros à l’Etat en 2012. Les entreprises qui dégagent un EBE nul ou négatif, et donc en général pas de bénéfices, y sont assujetties : elles auraient vu leurs impôts diminuer. Sur la base des données recensées par Diane pour 998 000 entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 760 000 euros, il s’agit de 16% des entreprises françaises.

Le projet gouvernement était de compenser la baisse des rentrées fiscales liée à la suppression de l’IFA et de la C3S et à la réduction du taux de l’IS, par les recettes engrangées par la création d’une taxe sur l’EBE. L’objectif affiché était donc de modifier l’assiette de l’impôt payé pour la rapprocher de ce que gagnent réellement les entreprises. Il semble maintenant que :

  • la C3S ne sera pas supprimée ;
  • le taux de l’IS sera maintenu ;
  • la taxe sur l’EBE sera tout de même créée avec un taux de 1%. Les PME en seront quasiment toutes exemptées mais quelques 8000 entreprises (selon l’Etat) sur plus de 3 millions y seront assujetties. 

La question est de savoir quels auraient été les impacts macroéconomiques globaux du plan initial par rapport à ce qui ressort de la passe d’armes politique :

  • négatif d’une part, de cette taxation de l’EBE sur le niveau de l’investissement tout d’abord et in fine sur la croissance. En d’autres termes l’élasticité-prix de l’investissement au montant de la taxe sur l’EBE est-elle élevée ou faible ? Ceci renvoie à la grande question des déterminants économiques de l’investissement qui sont surtout la demande globale, le niveau des taux de financement et le taux de rentabilité espéré de l’investissement. Les deux premiers déterminants n’étant pas affectés par la mise en place de la taxe.
  • positif d’autre part, de la hausse des marges des entreprises et/ou d’augmentation de la masse salariale et donc niveau de l’emploi et de la croissance liés à la disparition de la C3S et de l’IFA. 

Tout n’aurait été alors que dosage des taux finaux de taxation de l’EBE et du résultat courant. La mise en place d’un taxe sur l’EBE pour toutes les entreprises, aurait  :

  • permit ainsi aux entreprises les plus fragiles, les plus petites et/ou les plus jeunes mais aussi à l’ensemble des entreprises françaises, de retrouver quelques marges de manœuvre concernant leur niveau de marge et/ou leur niveau de charges d’exploitation et notamment leur niveau de masse salariale, leur principale charge ! In fine c’est l’emploi qui 
  • induit effectivement pour les entreprises les plus grosses une sorte de taxation de l’investissement. Les dotations aux amortissements et les charges financières (essentiellement liés au financement de l’investissement) n’étant déduites qu’après calcul de l’EBE. Mais cette taxation indirecte de l’investissement existait de facto avec la C3S.

Finalement, ce feuilleton de la rentrée, est un bien mauvais feuilleton. Gageons que ce débat « contre-productif » aura au moins le mérite d’appeler à un vrai et grand débat objectif sur la fiscalité des entreprises au moment des assises sur le sujet prévues en 2014. Car la vraie question n’est pas de savoir si on taxe l’EBE plutôt que le CA. Il s’agit de mettre à plat, l’ensemble de la fiscalité des entreprises, auxquelles les chefs d’entreprises ne comprennent plus rien et qui décourage la prise de risque !

C.M.