Because entrepreneur is a French word

« Si t’as pas ta startup à 40 ans, alors t’as pas réussi ta vie. » Vraiment ?

Par Guillaume-Olivier Doré

La France est porteuse d’un formidable terreau d’entrepreneurs.
Réduire ceux-là à des créateurs surdiplômés d’applis inutiles, qui ne se payent pas et exploitent une dizaine de stagiaires dans une ambiance tellement swag n’est pas sérieux.

Il y a 20 ans, expliquer qu’on était entrepreneur, c’était expliquer que non, on ne bossait pas dans le BTP, mais qu’on était un créateur d’entreprise.

Hier réservé à une petite minorité perçue comme privilégiée ou à des insconcients, le statut d’entrepreneur s’est aujourd’hui largement démocratisé. Entreprendre, c’est tendance ! La preuve, les français rêvent non seulement en majorité de créer leur entreprise, mais ils s’en donnent les moyens.

Deux chiffres : 15 millions de Français ont, à un moment où à un autre de leur carrière, adopté la dynamique entrepreneuriale ; 55 % des Français, toujours ce peuple d’entrepreneur, considère la création d’entreprise comme le choix de carrière le plus intéressant.

Préservons-nous cependant de ce prisme d’un entrepreneuriat réduit à l’écosystème FrenchTech, feu d’artifice et de paille d’une uberisation croissante de l’économie.

Par atavisme ou effet d’imitation, les US ou le complexe du popcorn bien en ligne de mire, le digital entraine en tous cas en France la remise en cause des modèles traditionnels.

Il n’est pas nécessaire de se pencher pour réaliser que ça « uberise » à tour de bras ! Même le mot est devenu un néologisme courant…
Observez-les bien ces grands groupes soucieux de capturer l’essence startup en créant des incubateurs, comme pour le développement durable en son temps. Et tous ces incubateurs indépendants prompts à « accélérer la croissance » des boites ; la blague comme si la croissance ne suffisait pas ! La ribambelle des autoproclamés gourous en « formation pour futurs entrepreneurs ou collaborateurs de startup » - comme si créer ou bosser dans une startup exigeait un entrainement d’astronaute.
Que dire du pullulement de ces conférences organisées en vue d’« analyser les facteurs clefs de succès de l’entrepreneur » ? De ces investisseurs qui ont troqué la cravate pour la basket et trouvent tellement cool de fréquenter des ravis de la crèche tout juste sorti du berceau de leur école ?
Que penser, enfin, de ces médias tombés sous le charme du moindre gamin qui confond idée rigolote et proposition de valeur ?

Esprit startup, es-tu là ?

Il semblerait bien. Et avec lui, toute la panoplie des fossoyeurs et autres vendeurs de pelles et de pioches à visée plus ou moins mercantile.

De quoi on parle là exactement ?

Tous ces services, toute cette énergie, tout cet argent, destinés à cibler une poignée de projets plus ou moins aboutis, portés par de jeunes gars ambitieux qui, sans réelle expérience ni connaissance d’eux-mêmes, résisteront difficilement au premier coup de vent.

Évitons tout malentendu : je milite depuis toujours pour faire de la France un pays d’entrepreneurs qui s’assument. Cette révolution en marche, je suis heureux et fier de l’avoir accompagné, avec mon modeste bagage d’entrepreneur qui s’en est jusqu’ici pas trop mal sorti. L’important, nous le savons tous, n’est pas la chute mais l’atterrissage ; on vient de le voir avec Viadeo…

Voir cette révolution caricaturée, réduite à un aéropage de jeunes bourges parisiens à particule « en mode » Deliveroo, qui ne roulent plus qu’en uber et n’écoutent plus que les playlists cool et prémâchées qu’on soumet à leurs tympans fatigués, me désespère. Caricature me direz-vous. Peut-être, mais gardons-nous bien, cependant, de répliquer l’écosystème anglo-saxon.

Cette image d’Épinal, de New York ou de Silicon Valley, comme vous voudrez, accolée à l’entrepreneur, désespère tous ceux, « normaux » aurait dit Coluche (traduire : pas bien né, pas parisien, sans basket ni t-shirt, et hors digital) qui composent l’écrasante majorité des entrepreneurs français.

Quitte à nous comparer avec les US, faisons-le :

C’est un fait, l’écosystème startup contribue à la croissance et à la création d’emplois aux US. Une étude rend compte d’un taux de création d’emplois par les startup de 18% pour un taux de destruction de 16%, avec une création nette à la clé d'environ 2%. (http://www.ifrap.org/emploi-et-politiques-sociales/limportance-des-start-dans-la-creation-et-la-destruction-demplois). Mais il faut pas perdre de vue que ces créations financées par une manne de plusieurs centaines de milliards de dollars investis par des VCs américains (http://internetassociation.org/wp-content/uploads/2015/12/Internet-Association-Measuring-the-US-Internet-Sector-12-10-15.pdf).

Alors bien sûr, les « syndicats représentatifs » autoproclamés du digital rêveraient de recréer cet élan chez nous, en France. Avec plaisir - je signe où ? -, mais qui est prêt à payer l’addition de ces centaines de milliards d’euros qu’il faudrait y investir ?

Vous y croyez vraiment, vous ?

Moi non. Même pas en rêve.  

Alors oui, c’est chouette, on est fiers de les avoir nos licornes. Notre Criteo, notre Blablacar, notre Withings du moment. Mais n’oublions pas autres, cette majorité silencieuse et invisible qui procède par étapes, rame, manque de tomber, échoue parfois, avant de se relever puis de recommencer de plus belle.

Par pitié, cessez de nous placer dans des cases. Nous, entrepreneurs, n’y rentrons pas, ou quand on le veut, c’est toujours pour une très bonne raison : servir son projet.

 


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