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Les bonnes pratiques

La constitution des tours de table et les rapprochements des différents types d’investisseurs

Le mécanisme de la défiscalisation ISF impose des contraintes particulières, aussi bien pour les investisseurs en direct que pour les fonds institutionnels (FIP, FCPI, FCPR). En particulier, la mesure renforce l’offre de capital pour les projets qui ont besoin de moins de 2,5 millions d’euros pour démarrer et elle facilitent la mise en oeuvre de cycles de décision courts (deux mois en moyenne), essentiels pour les créneaux de l’amorçage et du premier tour. L’ouverture du capital d’une PME, surtout de création récente, est une étape stratégique mais souvent difficile de son développement. Tout entrepreneur sait que sa première levée de fonds a été la plus dure et la plus incertaine, notamment quand il est en phase de création ou que l’entreprise n’est pas encore rentable, du fait des lourds investissements qui sont consentis pour s’assurer une place sur le marché. Les possibilités offertes par l’investissement ISF conduisent de nombreux chefs d’entreprise à envisager d’ouvrir leur capital pour la première fois et le resserrement du crédit aux entreprises, provoqué par la crise financière de 2007-2008, risque d’amplifier cette demande.

Avant même de se lancer, l’investisseur ISF doit se poser un certain nombre de questions préalables afin d’augmenter ses chances de réussir ses premiers investissements, tout en répondant aux attentes des entrepreneurs qui le sollicitent :

  •     comment se préparer?
  •     comment identifier et sélectionner les dossiers?
  •     quelle documentation faut-il demander aux entreprises candidates?
  •     quelles vérifications faut-il mener et qu’est-ce que le processus de "due diligence"?
  •     quels partenaires choisir si l’entreprise a besoin de plusieurs partenaires financiers pour couvrir ses besoins en fonds propres?


Les conseils qui suivent s’adressent d’abord aux contribuables, de plus en plus nombreux, qui veulent et peuvent investir en direct dans le capital d’une PME. Mais les questions posées ci-dessus constituent aussi un outil de vérification pour ceux qui choisissent de confier leurs fonds à des sociétés de gestion professionnelles ou qui investissent via des holdings ISF. Les structures nouvelles dans cette dernière catégorie peuvent trouver intérêt à les reprendre dans le détail pour organiser leur travail.
Comment se prépare un investisseur ?

L’investisseur de proximité, qui a déjà choisi l’entreprise de son choix, n’est pas concerné par ces premières étapes mais gagnera à se poser la question de savoir quelles vérifications il doit faire avant se souscrire à une augmentation de capital.

Le business angel, qui intervient pour la première fois, mais qui sera tenté de répéter l’opération plusieurs fois dans l’avenir, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un réseau de business angels pourra prendre trois initiatives:

 

  •     définir le montant et le rythme de ses investissements. Le bon montant à investir n’est pas forcément égal à la déduction de l’ISF et la répétition de l’opération sur plusieurs années nécessite de planifier l’utilisation de son patrimoine et de s’assurer de la disponibilité prévisible des fonds à investir.
  •     préparer son investissement au moins trois ou quatre mois avant la date butoir prévue par la réglementation (le 15 juin 2009 pour l’ISF 2008, mais la plupart des investissements seront clos fin mai, afin de pouvoir préparer la documentation nécessaire). Il est nécessaire de se préparer à l’investissement et de s’assurer que l’entreprise choisie aura bien le temps de réaliser l’opération dans le respect de la loi et de ses statuts.
  •     définir les secteurs dans lesquels on souhaite investir et le profil de risque des entreprises, en fonction de leur ancienneté ou de leur cycle d’exploitation. L’investissement dans des start-ups innovantes notamment exige des délais de maturation plus lents et un cycle d’exploitation souvent déficitaire pendant trois, voir quatre exercices annuels après la création.


Le dirigeant d’une holding ISF se posera les mêmes questions même s’il a déjà identifié des cibles d’investissement, afin de peaufiner sa stratégie et de se différencier.
Comment les dossiers sont-ils identifiés et sélectionnés ?

 Les business angels professionnels et les gérants de fonds savent bien que la qualité du "deal flow" (le flux de business plans et d’opportunités d’investissement) est la clé des succès futurs. Comme le producteur de cinéma doit avoir accès à des bons scenario, l’investisseur ISF doit lire des business plans en nombre, afin de pouvoir comparer les dossiers entre eux et établir sa propre grille d’analyse qui lui permettra de choisir au final la ou les entreprises qu’il préfère. Il faut à la fois avoir des dossiers en nombre mais aussi en qualité pour pouvoir faire ce travail.

Les réseaux de business angels et les nouvelles holding ISF sont constituées notamment pour mettre en commun de nombreuses demandes de financement et pour pouvoir identifier ceux de leurs membres ou actionnaires, qui peuvent à la fois trouver des dossiers et les orienter vers des personnes compétentes. Ce rôle, baptisé « capital-linker », est devenu essentiel et il passe par des réseaux de plus en plus spécialisés. Le capital-linker doit notamment connaître les réflexes des investisseurs pour préparer le chef d’entreprise à lever les fonds avec succès et pouvoir aussi recommander quel type d’investisseur privilégier en priorité. Bien définir le besoin de financement, au moins pour la première année dans le cas des start-up, permet de ne pas se tromper dans la préselection des investisseurs.

La constitution d’une vraie base de "deal flow" doit comporter les éléments suivants:

- Identifier clairement l’entreprise et son dirigeant.

- Noter l’origine du dossier et la qualité des actionnaires autres que le dirigeant-fondateur.

- Le secteur d’activité.

- Le besoin financier, même estimatif et le besoin ou non de refinancements ultérieurs.

- La date de création de l’entreprise, le nombre de salariés, le chiffre d’affaires et le montant des fonds déjà reçus, toutes ces informations étant nécessaires pour s’assurer de l’éligibilité au financement ISF.

La sélection des dossiers gagnera à être regroupée au sein d’un comité d’investissement, systématique ou ad hoc, selon le degré de structuration des véhicules d’investissement concernés. Dans les plus petites structures, la constitution de binômes constitués de deux personnes qualifiées permet d’échanger sur les dossiers en cours d’instruction et de se poser les bonnes questions, le plus tôt possible dans l’étude du dossier.
Quelle documentation fournissent les entreprises candidates?

Le package idéal pour une levée de fonds ISF réussie doit être simple et assez léger, mais passe par une assez longue préparation. Les longs business plans de quarante ou cinquante pages ne sont plus utiles, car les investisseurs ont en réalité peu de temps pour lire et il vaut mieux segmenter la documentation de levée de fonds en deux sous-ensemble :

- Le "package" de levée de fonds, au sens marketing de documents vendeurs et bien présentés, doit comporter idéalement:

        * un executive summary résumant bien la vision de l’entreprise et son plan d’entreprise sur 3 ans.

        * une présentation de type "powerpoint" pouvant être utilisée comme base de présentation chez les investisseurs.

        * un prévisionnel financier sur 12 mois détaillé, tant en termes d’exploitation que de trésorerie.

- Le dossier de référence, qui servira à alimenter les investisseurs qui ont montré leur intérêt à investir et souhaitent approfondir:

        * Les comptes et bilans de l’entreprise, si elle existe déjà depuis plusieurs années.

        * Les plans détaillés de R&D et de développement business, sous l’angle opérationnel et avec la définition des objectifs précis.

        * Les hypothèses chiffrées, qui ont servi à l’établissement du compte d’exploitation prévisionnel.
Quelles vérifications sont menées et qu’est-ce que le processus de due diligence ?

Il est difficile d’établir le vademecum des vérifications à établir avant d’investir dans une PME. La démarche est complètement différente entre une start-up qui existe depuis quelques mois et qui commence à peine à réaliser du chiffre d’affaires et une PME de 25 collaborateurs qui existe depuis dix ans. La seule exigence commune à tous les investisseurs en fonds propres est qu’il faut comprendre non seulement l’entreprise mais son dirigeant, qui en est souvent le fondateur ou un proche du fondateur, avec toute la dimension affective qu’il attache à son rôle et à sa vision de l’entreprise. Comprendre cette vision, s’assurer qu’on la partage mais qu’elle peut aussi évoluer au gré des évolutions du marché est essentiel et exige du temps. Ce travail ne peut se faire que par l’organisation de plusieurs rencontres approfondies avec le chef d’entreprise, au risque de lui reposer parfois les mêmes questions.

Ce processus essentiellement humain peut être renforcé par des prises de références personnelles et professionnelles, souvent indispensables même pour le jeune créateur de start-up et a fortiori pour ceux qui un passé professionnel derrière eux. C’est ici que commence à proprement parler ce processus de due diligence : en bon français, les vérifications que l’on se doit d’avoir effectuées au nom et pour le compte de ceux qui confient de l’argent à investir. L’accumulation des preuves et des indices convergents permet de se forger l’intime conviction que l’on a trouvé le bon investissement, tout en appréciant les risques inhérents à tout projet de croissance d’entreprise.

D’un point de vue plus technique et pour les investisseurs qui se sont dotés des moyens adéquats ou qui ont le temps de mener ce genre d’études, les due diligences peuvent inclure:

  •     des appels aux prospects commerciaux et aux clients de l’entreprise.
  •     des rencontres avec des experts du secteur de l’entreprise, pour valider sa stratégie.
  •     des recoupements avec des études de marché.
  •     des vérifications sur la propriété industrielle existante ou potentielle de l’entreprise.


En dehors des fonds de capital-risque, certains groupes de business angels partagent leurs connaissances et leurs expertises pour réaliser ce travail de manière gracieuse, sans entraîner de frais significatifs. Ces rencontres informelles avec le chef d’entreprise sont souvent plus utiles que le recours à des sociétés d’audit externes. Le jeune entrepreneur est souvent assez isolé et le temps passé avec d’autres dirigeants ou ex-dirigeants est précieux.
Quels investisseurs choisir ? Faut-il se regrouper à plusieurs?

L’un des mérites principaux de la loi TEPA a été de faciliter la mise en relation d’investisseurs qui avaient peu l’habitude d’investir ensemble jusqu’à présent. La réduction de l’ISF par investissement direct accélère l’organisation des business angels, notamment par la création de holdings d’investissement, qui permettent de mutualiser les investissements mais aussi les expériences de terrain. Les regroupements de compétences peuvent devenir aussi des réseaux d’identification et des co-investisseurs pour les fonds, qui cherchent à développer leurs capacités d’investissement sans augmenter forcément leurs équipes de gestion en proportion. Comme aux Etats-Unis où les business angels sont devenus la principale source de financement d’amorçage, notamment dans la Silicon Valley, le dispositif TEPA peut avoir l’effet de remettre les business angels au coeur du cycle de financement, en leur permettant d’amorcer la pompe de manière plus efficace et mutualisée qu’auparavant. Mais ce potentiel ne pourra être atteint que si des fonds viennent en appui de holdings ISF ou d’investisseurs individuels mais actifs, permettant ainsi le suivi actif de plus de lignes d’investissement. Or, leurs logiques d’investissement restent très différentes.

Les business angels se caractérisent par leur goût pour la prise de risque initiale, en relation directe avec l’entrepreneur. Leur action est démultipliée par les réductions d’ISF, dans la mesure où nombre d’assujettis à cet impôt sont des entrepreneurs ou d’anciens entrepreneurs eux-mêmes. Ils agissent de manière souple, avec peu de frais de structure, et cherchent leur rémunération dans la seule plus-value. Cela exige que leur part de capital ne soit pas trop diluée ou dévalorisée dans le cycle du financement de l’entreprise et les mène à tenter de créer une valeur incorporelle forte : en encadrant l’entrepreneur dans sa phase de lancement, ils peuvent contribuer à diminuer le risque futur.

Les fonds de capital-risque et de capital-développement ont d’autres contraintes, qui doivent être comprises par leurs co-investisseurs TEPA : ils industrialisent l’investissement en capital, ce qui tend à créer des rigidités et des contraintes manageriales beaucoup plus fortes que celles que pratiquent en général les business angels. Leur présence accélère le rythme de développement de l’entreprise mais ils veulent planifier la maturité et la sortie prévisible de leur investissement et ils demandent des droits d’actionnaires spécifiques, avec plus d’avantages que les fondateurs et les business angels. Cela peut faire diverger les intérêts des différentes catégories d’actionnaires, d’autant que les fonds  investissent plus tard dans la vie de l’entreprise et pour une durée moyenne de détention souvent plus courte que les personnes physiques.

En définitive, cinq pistes-clés sont proposées aux business angels et aux fonds :

 

  1.     Elargir autant que faire se peut les tours d’amorçage et les premiers tours à des business angels ou des holdings ISF pour apprendre à travailler ensemble dans le montage et le suivi des affaires.
  2.     Identifier des "leaders d’opinion" capables de représenter les réseaux de business angels et les holdings ISF et de dialoguer avec les fonds de capital-risque pour des co-financements dès le premier tour ou des refinancements.
  3.     Accès à une boîte à outils technique et juridique permettant aux business angels de bénéficier des meilleurs instruments de la place pour réaliser leurs investissements (monétisation de leurs compétences pour les due diligences et les audits, accès à des modèles juridiques de qualité et éprouvés).
  4.     Options de sortie partielle du capital pour les investisseurs du premier jour en cas de levées de fonds ultérieures supérieures à un certain montant.
  5.     Pousser les nouveaux investisseurs ISF à se doter de réserves de refinancement pour éviter une dilution trop rapide dans les tours ultérieurs.


Leur exercice régulier permettra de valider si ce mécanisme vertueux peut se confirmer dans les faits en 2009 et 2010.

Olivier Protard, Daniel Kahn et al., in Guide ISF PME 2009, Capital Finance