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Decret d'application et règlement AMF sur le crowdfunding en France

Financement participatif des PME

Les textes d’application sur le crowdfunding

Pour les avocats Hubert de Vauplane et Reid Feldman, associés de Kramer Levin Naftalis et Frankel LLP,  le nouveau décret montre que seules les plateformes qui seront capables d’afficher des exigences de transparences fiables et adaptées arriveront à se maintenir sur la durée. En effet, la réforme sur le financement participatif part du principe d’une grande liberté pour les plateformes en contrepartie d’une forte exigence en matière de transparence vis-à-vis des prêteurs et des emprunteurs. Tout ceci aura un coût.

Moins de quinze jours avant l’entrée en vigueur programmée de l’ordonnance du 30 mai 2014 relative au financement participatif, trois textes d’application de cette ordonnance viennent d’être publiés:

  • un décret portant sur l’activité des conseillers en investissements participatifs (CIP), dédiée à la souscription de titres de capital ou de créance, et (surtout) sur l’activité des intermédiaires en financement participatif, ayant vocation à promouvoir le financement par prêts (Décret n° 2014-1053)
  • le projet de modification du Règlement général  de l’AMF (publié sur le site AMF le 18 septembre 2014), détaillant les règles applicables au financement participatif par souscription de titres (sous réserve d’homologation du ministère de finances, ce ne semble pas en doute) ;
  • le projet d’un instruction AMF (publié le même jour, également sur le site AMF et sous réserve d’homologation), précisant le contenu du dossier de demande d’immatriculation en qualité de CIP et le processus d’examen du dossier et les information devant être communiquées annuellement par le CIP à l’AMF.

I Le conseiller en investissements participatifs (CIP)

En ce qui concerne l’exercice de l’activité de CIP, le décret précise que cette activité ne peut porter que sur l’offre d’actions ordinaires ou d’obligations à taux fixe, à l’exclusion de tous autres titres financiers. Autrement dit, les titres complexes et hybrides comme les obligations convertibles ou échangeables, mais aussi les actions de préférence ou encore les BSA ou BSPCE ne peuvent pas être proposés par les plateformes d’investissement (ce qui devrait différencier les offres des CIP par rapport à celles des réseaux de business angels).

Les règles quant à l’offre de titres et les opérations des plateformes figureront dans le Règlement général de l’AMF. Dans le projet de modification du règlement, il est notamment prévu en grand détail les informations devant être communiquées aux investisseurs et les règles de bonne conduite.

Bien entendu, le CIP communiquera aux investisseurs potentiels les informations sur le projet à financer (mené par l’émetteur ou et les risques liés à celui-ci ainsi que les modalités de l’offre (y compris les frais facturés). Mais il communiquera aussi des informations détaillées sur la société porteur du projet et ses dirigeants, y compris non seulement des informations financières mais également « une information exhaustive sur tous le droits attachées aux titres offerts », « une information exhaustive sur tous les droits (droits de vote, droits financiers et droits à l’information) attachés aux titres et catégories de titres non offerts dans le cadre de l’offre proposée », l’engagement de souscription des dirigeants et les rapports des organes sociaux à l’assemblée générale. D’autres détails seront précisés dans encore une autre instruction AMF (dont le projet n’est pas encore publié).

Le statut de CIP (qui est exclusif d’autres activités, si ce n’est celle d’un IFP) est accordé après examen par l’AMF, sur dossier comprenant notamment une présentation de l’activité prévue, y compris le modèle d’investissement, la fourchette prévisionnelle des montants de levée de fonds, la procédure de sélection de projets et les diligences à réaliser, la procédure de valorisation, la politique de suivi de l’activité des émetteurs (et les sociétés opérationnelles, si l’investissement est fait au moyen d’une holding) et les modalités de rémunération du CIP. Le délai d’instruction prévue est de deux mois, à compter de la présentation d’un dossier complet. L’immatriculation du CIP a lieu sur le registre unique géré par l'organisme pour le registre des intermédiaires en assurance, banque et finance (ORIAS).

Les textes prévoient que les prestataires de services d’investissement (PSI) puissent aussi proposer des offres de titres financiers au moyen de sites internet, en respectant les conditions applicables aux CIP. Il reste à savoir si les PSI rentreront réellement par ce biais dans le secteur du financement participatif.

II L’intermédiaire en financement participatif (IFP)

S'agissant du financement participatif sous forme de prêts, le décret fixe les plafonds applicables aux prêts et aux emprunts. Il fixe les conditions d'honorabilité et de capacité professionnelle requises pour l'exercice de l'activité, les règles de bonne conduite applicables aux intermédiaires en financement participatif ainsi que les mentions qui doivent figurer sur les contrats type mis à disposition des prêteurs et des emprunteurs. Il prévoit des obligations allégées pour les intermédiaires en financement participatif qui présentent des appels aux dons.

Le décret prévoit les conditions d'immatriculation des IFP sur le registre ORIAS. Il précise les règles applicables aux établissements de paiement qui bénéficient d'un régime prudentiel allégé, en matière de capital et de montant d'opérations de paiement qu'ils peuvent effectuer.

L’essentiel du décret porte cependant sur les activités de financement et le statut d’intermédiaire en financement participatif (IFP).

Tout d’abord, le texte vient préciser les conditions des prêts. Un crédit ne peut pas excéder 1 000€ par prêteur et par projet et un porteur de projet ne peut pas emprunter plus de un million d’euros par projet. Voilà pour ce qui était déjà connu et devient confirmé. Le décret précise toutefois que la durée du crédit ne peut pas être supérieure à sept ans et que le taux d’intérêt ne doit pas dépasser le niveau du taux d’usure. Il s’agit là sans conteste d’une protection pour les emprunteurs. Mais celle-ci vient fortement limiter le développement de certaines activités de financement du BFR pour des entreprises ayant un fort besoin sur une courte durée. Cette application obligatoire et sans dérogation du régime de l’usure – avec tout ce qu’il comporte comme formalisme mais surtout comme sanctions civiles et pénales liées à son inobservation – semble contestable. Il aurait été possible de prévoir un régime différent pour les emprunteurs personnes physiques et personnes morales, ou une faculté de renonciation au bénéfice de cette protection.

Le prêt sans intérêt pour sa part ne peut pas dépasser la somme de 4 000€ par préteur et par projet. La somme est certes élevée et en pratique peu atteinte sur les sites déjà existants, mais sur le principe il s’agit d’une régression par rapport à la totale liberté qui existait jusqu’alors.

Dans tous les cas (prêt avec ou sans intérêt) le contrat de prêt doit être établi par écrit « ou sur tout autre support durable ».

Rien d’autre n’est indiqué sur le contrat de prêt. Ainsi, le décret laisse ouverte la question de savoir si un prêt au sens de l’ordonnance sur le financement participatif est un prêt de droit commun (code civil) ou un prêt réglementé (code monétaire et financier ou code de la consommation). Le point est important car le formalisme requis dans un cas comme dans l’autre n’est pas le même.

On rappelle que l’IFP ne peut exercer d’autres activités, si ce n’est celle d’un CIP. Toutefois, le cumul des deux activités peut s’avérer délicat en pratique compte tenu de la présence de deux régulateurs n’ayant pas exactement les mêmes approches sur certains aspects. Les conditions d’accès à la profession d’IFP sont beaucoup plus restreintes que celle de CIP.

Le décret prévoit ainsi toute une liste d’expériences ou de diplômes requis pour les personnes qui veulent diriger ou gérer un IFP. Mais que l’on se rassure, le décret prévoit une séance de rattrapage pour ceux qui ne rentreraient dans aucune des catégories: une formation d’au moins quatre-vingts heures auprès d’un centre de formation agréé ou d’une banque, mais dont le contenu sera fixé par arrêté.

III Transparence de l’information

Le décret apporte ensuite toute une série de précisions importantes en matière de transparence de l’information. Ainsi, il oblige les plateformes à mentionner toute une série d’informations sur leur site et dans les publications qu’elles effectuent. Mieux, il oblige aussi ces mêmes plateformes à publier sur leur site, au moins une fois par an, un « rapport d’activité » présentant le dispositif de gouvernance et le détail des activités de financement effectués l’année civile précédente (nombre de projets financés, montant total des financements sous toutes leurs formes…). Cette « vérité de l’information » permettra une bonne comparaison entre les sites, au risque pour certains d’entre eux de revoir leur politique de communication…

L'entrée en relation entre la plateforme et les porteurs de projets et les prêteurs fait l’objet de très nombreuses dispositions : informations obligatoires exigées, mais aussi mise à disposition d’un « outil permettant aux prêteurs d’évaluer leurs capacités de financement en fonction du montant déclaré de leurs ressources et de leurs charges annuelles et de leur épargne disponibles » (pas sûr que les internautes « jouent » le jeu en transmettant la réalité de leur situation…),  mention sur la première page de leur site des conditions d’éligibilité et des critères d’analyse et de sélection des projets, taux de défaillance au cours des 36 derniers mois, capital restant dû des crédits et des prêts sans intérêts pour les échéances impayées depuis plus de deux mois…

La plateforme doit présenter aux internautes le plan de financement du projet, la présence ou non d’une assurance ou d’une garantie. Plus généralement, la plateforme doit apporter toute une série d’informations avant la conclusion du contrat de prêt, tant vis-à-vis des prêteurs que des emprunteurs et attirer l’attention des prêteurs par de nombreuses mises en garde (selon la formule : « fumer tue », remplacée ici par une attention sur l’endettement excessif pour les emprunteurs et le risque de non remboursement pour les prêteurs…)

Enfin, le décret mentionne avec précision les mentions minimum que doivent satisfaire le contrat de prêt type mis à disposition sur le site des plateformes.

Des dérogations à l’ensemble de ces obligations sont prévues pour les plateformes qui ne proposent que des dons.

R.F., H. de V.